La culture Extrême-Orientale cultive la pénombre, l’éclat dans l’ombre et la matité dans la lumière. « (…) la vue d’un objet étincelant [y] procure un certain malaise. » 1 (…)
« Contrairement aux occidentaux qui s’efforcent d’éliminer radicalement tout ce qui ressemble à une souillure, les Extrême-Orientaux la conservent précieusement, et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau. »2
Avec son film « La cérémonie du thé » (2009), Rebecca Digne semble produire une version occidentalisée de ce rituel: un éloge de la lumière qui détournerait les descriptions de l’ « Eloge de l’ombre » de Tanizaki Junichirô.
A l’image, on ne voit que le bol blanc émaillé vu du dessus rempli d’eau, à la place du thé et ses dépôts teintés, puis le plancher sur lequel il est posé et les genoux pliés de celui qui va en boire le contenu. A force de simplicité et de temps donné aux gestes, le cercle blanc miroitant, même saisi par des mains, finit par former une composition géométrique abstraite. A la fin, la nuque d’une blondeur discrète du buveur est le seul indice quant à l’identité de celui qui accomplit ces gestes. Le bol vidé est reposé sur le plancher où sa blancheur immaculée irradie et dans laquelle se réfléchit une fenêtre. Lumière et fenêtre, la culture occidentale serait-elle là contenue ? Sans doute.
Ici, le temps était celui de la cérémonie. Ailleurs, le rituel est moins manifeste, mais l’attente est une autre forme de suspension du temps, pour parvenir à celui de la transcendance, celui habité par une forme de spiritualité qui relève d’un autre espace.
Aussi, l’espace dans les films de Rebecca Digne est-t-il caractérisé par son peu de profondeur de champ, comme pour signifier ce hors-champ intérieur, l’attente de quelque chose de plus grand, à l’image de cette jeune femme qui s’avère être seule dans une salle de cinéma éclairée (« Kino-peinture », 2008). Tournée vers l’arrière de la salle, en alerte, elle exprime une inquiétude allant parfois jusqu’à l’effroi. On pense aussi, dans une version moins haletante, au Christ dans les bois de « Mains» (2010) ou encore à « Jeanne » (2008) qui entretien le même rapport à la lumière que « La cérémonie du thé ».
Les visages et les mains, lieux de l’expression, sont tendus vers l’autre et tentent de signifier quelque chose. Ils sont une synthèse expressive des impressions, des pensées profondes et se font le reflet de l’âme pour lesquels le corps et, plus particulièrement le visage, agissent comme un matériau ductile laissant transparaître les tourments intérieurs, comme des courants marins dont on perçoit quelques remous à la surface. Cette ductilité a quelque chose de l’ordre de la sculpture et a à voir avec la manière artisanale dont Rebecca Digne travaille : à l’heure du numérique, elle tourne en 16mm ou en 8mm et developpe elle même ses films avec de la pellicule de 16mm ou 8mm et procèdant elle-même au développement de ses films pour mieux manipuler cette matière là.
A l’image de la Jeanne d’Arc de Dreyer, dont elle se réclame, ses films muets sont extrêmement loquaces. L’absence de son participe à l’abstraction imposée par le cadre resserré de l’image où les personnages vivent comme des icônes byzantines sur leur fond d’or.
Sandra Cattini
Texte du catalogue Dynasty du Musée d’art moderne de la ville de Paris/ Edition Paris Musées/ Juin 2010
1 Tanizaki Junichirô, Eloge de l’ombre, traduit du japonais par René Sieffert, Publication orientalistes de France, 1993, p.34
2 ibid., p.38